
Chercheuse au CNRS et entrepreneuse, Claude Grison vient de remporter le prix de l’inventeur européen de l’année. Elle a mis au point une technologie à base uniquement de plantes envahissantes pour décontaminer les sols et créer de nouvelles molécules biosourcées.
Claude Grison aime à dire qu’elle est une écochimiste. Docteure en chimie du vivant et professeure à l’Université de Montpellier, elle trace la voie en encourageant ses étudiants à devenir des chercheurs citoyens.
« Je souhaite que mes recherches soient utiles à la société, qu’elles ne restent pas valorisées uniquement par de belles publications scientifiques mais qu’elles trouvent des applications dans la sphère socio-économique à chaque fois que cela est possible et qu’elles ont du sens.«
Faire sortir l’innovation des laboratoires n’est pas toujours aisé mais Claude Grison est parvenue à lancer son entreprise au début 2020, juste avant le confinement : BioInspir, qu’elle a co-fondée avec Technofounders, un club d’investisseurs dont la spécialité est de miser sur les pépites technologiques de demain issues de la Recherche française.
Son filtre végétal pour dépolluer les sols à le double avantage de transformer une catastrophe environnementale que sont les plantes exotiques envahissantes en éponge à métaux lourds pour ensuite en extraire de nouvelles molécules, catalyseurs totalement biosourcées et non toxiques pour l’industrie pharmaceutique et cosmétique.
Tout commence par la récolte. Dès le mois d’avril, Claude Grison parcourent avec une équipe d’une quinzaine de jeunes chercheurs les berges des rivières du sud de la France pour aller faucher ces plantes aquatiques qui prolifèrent dans toutes les zones humides.
Ressources malheureusement inépuisables, Jussie d’eau, Laitue d’eau ou encore Renouée du Japon, relâchées dans la nature par quelques aquariophiles ont en effet finies au fil des années par envahir tous nos cours d’eau, étouffant les autres espèces et rendant les voies innavigables. Au prix de fauches répétées et quelques incisions au niveau des rhizomes elles finiront par abdiquer.
À défaut de pouvoir les éradiquer, les campagnes de fauche menées jusqu’en octobre par les équipes de BioInspir libèrent quelque peu les zones humides de la Vallée du Gardon, de l’Hérault et de la Durance. Environ 4 tonnes par espèce sont récoltées chaque année qui seront ensuite séchées, broyées et réduites en poudre selon un procédé mis au point par la jeune entreprise.
Eco-catalyseur pour nouvelles molécules
Même mortes et en poudre, elles ont encore le pouvoir de séquestrer de nombreux polluants nous explique Claude Grison. À l’image d’une grosse éponge végétale, la poudre placée dans de grandes colonnes servira de filtre pour décontaminer l’eau de site pollué.
De tels dispositifs ont été installés à la mine d’or de Salsigne dans l’Aude, une mine fermée depuis 2004 marquée par un siècle de pollution à l’arsenic. Il reste le site le plus pollué de France où ont été abandonnées six millions de tonnes de déchets arséniés à ciel ouvert.
BioInspir a aussi installé définitivement son pilote à la mine de zinc des Malines, dans le Gard. Là, ce sont 300 kilomètres de galeries où il faut absolument traiter toutes les eaux de pluies qui s’y infiltrent. Car c’est à la chaux que l’on traite traditionnellement ces sols nous indique la scientifique. Mais ce vieux procédé génère des boues hautement toxiques pour lesquelles les stockages de confinement sécurisées viennent à manquer.
Tout au contraire, la technologie mise au point par l’entreprise montpelliéraine, elle, transforme les déchets en trésor pour l’industrie.
En effet, une fois le filtre gorgé de toutes sortes de métaux comme le zinc, le nickel ou même des terres rares, BioInspir les transforme en écocatalyseur.
Selon un principe bien connu dans les laboratoires scientifiques, toute l’industrie chimique se sert de catalyseur pour permettre aux molécules de réagir ensemble et la jeune entreprise est la seule à pouvoir produire un catalyseur totalement végétal. Ce qui lui permet de produire de nouvelles molécules d’intérêt qui entreront dans les formules des traitements antimitotiques, médicaments utilisés dans le traitement des cancers, des cosmétiques ou encore pour produire des plastiques biodégradables.
« Grâce à notre technologie, il n’y a plus besoin d’intrants chimiques. On est en train d’oublier la pétrochimie ! » assure Claude Grison.
Des solvants verts, vendus sous le très exigeant label Cosmos, des ingrédients actifs pour des produits cosmétiques, la chef d’entreprise a devant elle une multitude de débouchés économiques qui vont lui permettre de poursuivre sa croissance et le recrutement de nouveaux salariés. Au nombre de 10 aujourd’hui, elle compte bien doubler très rapidement ses effectifs car Claude Grison a, en parallèle monté une autre structure qui commercialise sous le nom de Crusoé, toute une gamme de répulsifs à moustique, toujours en s’inspirant des plantes et de la nature.
Récompensée du Prix de l’inventeur européen 2022 dans la catégorie « Recherche », l’un des prix les plus prestigieux d’Europe en matière d’innovation délivrée par l’Office Européen des Brevets, Claude Grison espère entraîner toute une génération de scientifiques prête à se mobiliser dans la transition écologique. Car au-delà des constats alarmants sur l’état de notre planète, il y a aussi de grands espoirs affirme-t-elle.